mardi 15 février 2011

le sacrifice

Je me souviens m'être laissé labourer le visage dans la cour de récré de maternelle. Je ne connaissais pas la gamine, je ne comprenais pas   pourquoi  elle me faisait du mal,  alors  je l'ai laissé faire. A la sonnerie , je me suis mise en rang  avec les autres devant la porte de la classe et j'ai entendu les hurlements de l'institutrice. Elle criait au cause de mon visage en sang. Je me souviens d'une croute énorme puis de cicatrices longtemps inscrites sur ma joue droite, mêlées aux taches de rousseur. 
Je me sentais d'un autre monde. JE 5 ans, moi, était prise dans le hors de la vie  de mes parents,  dans le statut de "réfugié russe " ofpra croix rouge tuberculose de mon père et dans l'aura d'anesthésie de ma mère. J'en étais issue.
Quand la gamine s'en est prise à moi, je n'ai presque rien senti. je n'étais pas trop là.J'étais en observation du monde. 
Nous habitions Saint Cyprien dans  les premiers HLM de la ville. j'étais pas de là. Les autres gamins étaient de là, la preuve :  ils savaient  bénéficier d'une distribution de mini barres de chocolat Poulain et de casquettes  jetées depuis un camion publicitaire et moi pas . Je ne saurai jamais, c'est sûr, comme je ne comprenais pas pourquoi les fourmis ou les mouches  étaient en perpétuel mouvement.  Il m'en reste que  je ne supporte pas les " j'y ai droit" ni être là au bon moment. Officiellement, ça m'ennuie..
Je ne sais pas comment s'est mis en place mon processus interne de sacrifice de ma vie au profit de mes parents puis à celui du monde. Je sais que je suis née avec ce programme qui , soit dit au passage , n'a servi à rien de vraiment bien.
Etre née avec, signifie que pendant mon séjour dans le ventre  de ma mère, j'ai capté des signaux extérieurs, reçu ses décharges d'hormones, senti ses pas. J'ai  cohabité avec ce qu'elle mangeait, buvait, lisait, ressentait. Je, entité , composais déja avec ce qui n'était pas moi, extérieur à  moi mais qui me faisait. Je n'avais pas le choix que d'être en observation , passive et active. 
D'où vient que j'ai perçu le message de mon père " tu es la vie que je n'ai pas , tu es mon issue, tu es pour moi, tu es de mon sang...tu es le sang qui me sauvera" ? D'où vient que j'ai pris le relais de ma mère, l'ai-je pris? La grille d'analyse freudienne ne me suffit pas. Le tout Œdipe occulte  l'immense  complexité de la mythologie grecque. Celle de la vie à la mort, celle de la fureur pulsionnelle, celle du feu dévorant et du sel qui fige et dessèche, celle du désir total et hurlant, celle de la douleur ingérable d'être et dieu et merde et poussière. j'en passe. 
Mon sacrifice programmé m'ennuie. Il ne mène à RIEN.  Je passe à une autre phase sans forcer. Pour une fois, je ne force pas. je m'inquiète de la lenteur du processus, en me disant " aurai-je le temps de m'installer dans mon étape suivante avant de devoir reprendre le boulot "? 
Si je devais revenir travailler maintenant , je serais comme dans cette cour de récré de maternelle , à ne pas comprendre pourquoi celui ou celle là me saute dessus. Chaque coup de tampon "inapte au service " et l'octroi  de six mois de  plus aux limbes par le  médecin contrôleur  sursoit  mon retour dans l'arène aux lions. Et voila que je me prends pour Blandine. 
C'est drôle , hier je suis entrée au Louvre par la porte des lions. J'avais rendez-vous. Le Louvre est une caverne d'Ali Baba, je ne sais généralement pas ou poser les yeux. Cependant, le rien s'est installé insidieusement   en moi, sans que j'en sois consciente. Il avait fallu faire vite, passer de salle en salle pour atteindre l'expo à l'autre bout des bâtiments. Goya, statues grecques, tapisseries, Théodore Géricault né le 26 septembre 1791 à Rouen, Renoir. La vie  défile en tableaux devant mon corps au pas de charge , je passe et repasse  à coté d'elle. Nous nous effleurons, ne nous touchons pas. 
Dans ce bistro plutôt chic , je regardais, écoutais les codes de bonne conduite du rien dont étaient affublés mes voisins et moi-même . Je les comparais à ceux des Jenish du film (la BM du seigneur)  que j'avais vu la veille. Je réfléchissais à  comment chaque groupe vivant et chaque être à l'intérieur du groupe, se débrouillent et inventent pour se gérer tant bien que mal. 
De ce coté-ci de la Seine, rive gauche,  les boutiques sont pleines de rien à vendre très cher pour combler le vide des riches. De l'autre coté du pont, chez les moins riches, il y a aussi du rien à vendre , un peu moins cher,  qui sera aspiré  par des vides intérieurs  qui ne valent pas grand chose à leur propres yeux. 
Dans mon estomac, s'entrelaçaient deux colonnes, une montante, celle de ma faim, une autre , descendante, celle d'un fromage blanc au miel. Chacune disait à l'autre : " Salut ! ça tombe bien que tu sois là, belle rencontre que la nôtre ".  
Je suis rentrée chez moi en sachant catégoriquement  que je ne pouvais plus me contenter de mon programme à la Blandine, moitié spectatrice et amante sacrifiée du monde .Plus encore, j'allais laisser faire ma métamorphose avec encore plus de détermination
Il y a quelques semaines,  j'ai collé un  chewing gum  mental sur ma fuite  d'énergie chronique. J'ai stoppé un processus de vampirisation.  Le vide extérieur qui m'aspirait le sang et la moelle de mes os  et que, par devoir,   je devais  alimenter et combler  ad vitam   eternam,  va  se débrouiller seul,  mourir... disparaitre. C'est comme ça.
 







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