vendredi 29 octobre 2010

le lien maternel

 J'ai longtemps pensé que s'il m'arrivait quelque chose de grave , ma mère serait là. Quand il m'est arrivé quelque chose de grave,  je me suis empressée de ne pas aller vers elle mais vers mes amis. Mon action a fait apparaitre  quelque chose : le  fantasme de  la protection maternelle ne passe pas le cap de la réalité. En vrai; s'il m'arrive quelque chose de grave,  je choisis d'aller vers d'autres , vers ce que j'ai construit . 
Il y a quelques semaines, je me suis dit qu'il fallait que je me prenne au sérieux, non pas dans le sens se prendre au sérieux mais dans le sens, constater ma réalité. Je bosse à temps plein depuis l'age de 22 ans ( voire plus tôt,  par intermittence).Je me suis vite débrouillée pour être autonome. Mes parents ne m'ont jamais refilé de fric pour financer mes études ou quoi que ce soit. Je peux même dire que c'est le contraire (je ne suis pas la seule).  Oui,  tout tient sur mes épaules et j'ai peur au cas où mes épaules flancheraient. Ma décision de ne plus travailler ( je ne sais pas pour combien de temps) n'a été prise que grâce  au dispositif que j'ai mis en place pour que mon arrêt travail se déroule dans les meilleures conditions. Je constate mon "sérieux". Je sais calculer. Dans cette aventure, le risque est nul.
Depuis toujours , je porte cette peur liée à  la précarité , précarité affective, manque de légitimité etc. Plus tard avec le neurinome number 8,  j'ai été confrontée avec rudesse à la précarité physique. La défaillance jouxte  la peur de la déchéance.
J'ai toujours fait attention à mon corps, je le cachais pour le préserver. Je me suis interrogée sur ma frénésie aquatique. Je nage pour faire apparaitre mon corps dans l'espace public, un corps fort, un corps beau, un corps fier,  un corps, enfin qui peut cogner pour se défendre, j'ai des muscles, j'ai des muscles !!!! . Je le traite bien afin qu'il me mène  bien,  le plus longtemps possible. 
Depuis longtemps, je suis préoccupée  par le "plus tard quand je serai vieille", avec en tête les images de ma future déchéance physique et mentale. Mais depuis quelques jours,  j'en ai plein le cul de ces images morbides qui me plombent.
A la suite de la visite de ma mère, j'ai compris que je  suis détachée du lien pathologique mère / fille. La position de ma mère  dans mon affect a bougé. Je la place  comme une personne à part entière, avec ses qualités et ses défauts  et non plus d'abord comme une mère (avec comme base la  pathologie liée à ce lien familial).  
Je me sens libérée de l'angoisse de ne plus être si ce lien de parenté ne  tient plus.

Il y quelques jours , je parlais  de mon père. je me suis rendu compte qu'il n'existe plus . Il n'y a plus rien.  Je me sens allégée de ce fardeau et en paix. Je ne porte plus sa marque de plomb. Un an presque que je l'ai tué.
PUTAIN QUE C'EST BIEN.

Si je défends un système de santé publique et solidaire, réellement accessible à tous , c'est pour éviter que chacun  ne soit contraint au recroquevillement, au rétrécissement  psychique  intérieur.
Vivre avec la peur au ventre de ne pas pouvoir être soignée et protégée , renforce le sentiment d' être inexorablement  "seul(e) au monde contre l'adversité" et contribue à l'idéologie du chacun pour sa peau  et que l'autre crève. Mauvaise idéologie.


après soi

Cette histoire de perpétuation de soi à travers sa filiation ( naturelle ou d'adoption ) , ça me scotche.
je vais vous dire , je ne me sens rien à transmettre au futur , ce que j'ai à transmettre, c'est maintenant. 
Laisser un  souvenir de moi après ma mort, je n'y pense pas un seul instant. On se prend pour qui ? Laisser une trace.. j'aurais plutôt dans l'idée de laisser la place plus propre que je ne l'ai trouvée . 
La création artistique ou technique ne m'intéresse que si elle sert  maintenant. Si  elle dure jusqu'à demain ou après  demain ,  tant mieux.
à 97 % des cas , il y a une différence évidente  entre les personnes qui n'ont pas de mômes et ceux qui en ont. Ceux qui ont procréé  se sont déja un peu débarrassé de leur  mort  :  ils ont déja transmis une partie de leur paquet vers le futur, partie léguée, déléguée.
Ceux qui n'en ont pas n'ont "que" leur présent, doivent se dépatouiller avec l'idée d'une vie qui n'a pas d'échappée et doivent vivre dans le temps des collatéraux, cad dans le temps limité. 
Ma mort se présentera entière devant mes yeux , en  grosses lettres  "THE END" et puis le noir. Je ne crois pas en une vie après. 

Qui va m'aider quand je serai vieille et grabataire? qui va m'aider s'il m'arrive quelque chose? 
L'idée de  famille rassure et protège du cauchemar. On pense que la famille crée du devoir, ça tient sur le court terme,  peut être..  Ce n'est qu'une illusion. Nos souvenirs , notre culture commune, nos  liens du sang (!)  ne tiennent pas devant la réalité.   Techniquement , affectivement et financièrement, il est illusoire de compter sur elle. Je ne vois pas comment je pourrais imposer à  ma famille  de me prendre en charge. 
mais il existe d'autres communautés, à deux, à plus.
Oui, on en reparlera.