mercredi 30 juin 2010

tiens, voilà un de mes preférés: marshall macluhan

Pour comprendre les médias.

[...] Dans une culture comme la nôtre, habituée de longue date à tout fragmenter et à tout diviser pour dominer, il est sans doute surprenant de se faire rappeler qu’en réalité et en pratique, le vrai message, c’est le médiu lui-même, c’est-à-dire, tout simplement, que les effets d’un médium sur l’individu ou sur la société dépendent du changement d’échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie. ..

...Au fil de ce raisonnement, l’exemple de la lumière électrique nous éclairera peut être. La lumière électrique est de l’information pure. C’est un médium sans message, pourrait-on dire, tant qu’on ne l’utilise pas pour épeler une marque ou une publicité verbales. Ce fait, caractéristique de tous les média, signifie que le «contenu» d’un médium, quel qu’il soit, est toujours un autre médium. Le contenu de l’écriture, c’est la parole, tout comme le mot écrit est le contenu de l’imprimé et l’imprimé, celui du télégraphe. Et si l’on demande: «Quel est le contenu de la parole ?», il faut répondre: «C’est un processus «actuel» de pensée, en lui-même non verbal». Une peinture non figurative représente une manifestation directe des processus de la pensée créatrice, comme pourraient en produire des ordinateurs. Ce qui nous préoccupe ici, toutefois, ce sont les effets psychologiques et sociaux des modèles ou des produits en tant qu’accélérateurs ou amplificateurs des processus existants. En effet, le «message» d’un médium ou d’une technologie, c’est le changement d’échelle, de rythme ou de modèles qu’il provoque dans les affaires humaines. Le chemin de fer n’a pas apporté le mouvement, le transport, la roue ni la route aux hommes, mais il a accéléré et amplifié l’échelle des fonctions humaines existantes, créé de nouvelles formes de villes et de nouveaux modes de travail et de loisir. Et cela s’est produit partout où le chemin de fer a existé, que ce soit dans un milieu tropical ou polaire, indifféremment des marchandises qu’il transportait, c’est-à-dire indifféremment du contenu du médium «chemin de fer». L’avion, lui, en accélérant le rythme du transport, tend à dissoudre la forme «ferroviaire» de la ville, de la politique et de la société, et ce, indifféremment de l’usage qui en est fait. Mais revenons à la lumière électrique. Qu’on l’utilise pour la neurochirurgie ou pour éclairer un match de baseball n’a aucune importance. On pourrait même dire que ces occupations sont d’une certaine façon le contenu de la lumière électrique puisqu’elles ne pourraient pas exister sans elle. Cette évidence ne fait que souligner l’idée que «le message, c’est le médium» parce que c’est le médium qui façonne le mode et détermine l’échelle de l’activité et des relations des hommes. Les contenus ou les usages des média sont divers et sans effet sur la nature des relations humaines. En fait, c’est une des principales caractéristiques des média que leur contenu nous en cache la nature. Ce n’est que récemment que les entreprises ont pris conscience du type d’affaires qu’elles traitent. Chez IBM, on commença à voir où l’on allait quand on découvrit que l’on ne fabriquait pas du matériel de bureau et des calculatrices, mais que l’on «traitait» de l’information. La General Electric tire une partie importante de ses profits de la vente d’ampoules électriques et de systèmes d’éclairage mais n’a pas encore découvert que sa véritable activité, comme celle d’AT&amp, consiste à transporter de l’information. Si la lumière électrique échappe à l’attention comme médium de communication, c’est précisément qu’elle n’a pas de «contenu», et c’est ce qui en fait un exemple précieux de l’erreur que l’on commet couramment dans l’étude des média. En effet, on ne voit enfin la lumière électrique comme médium que lorsqu’elle sert à épeler quelque marque de commerce. Et à ce moment, ce n’est pas la lumière elle-même mais son contenu (et donc, en réalité, un autre médium) qui frappe l’attention. Le message de la lumière électrique, comme celui de l’énergie électrique pour l’industrie, est absolument radical, décentralisé et enveloppant. La lumière et l’énergie électriques, en effet, sont distinctes des usages qu’on en fait. Elles abolissent le temps et l’espace dans la société, exactement comme la radio, le télégraphe, le téléphone et la télévision...
[...] Les ondes sonores deviennent visibles sur le bord d’attaque des ailes d’un
avion au moment précis où il va franchir le mur du son. L’apparition soudaine du son à l’instant même où il va s’éteindre est un bon exemple de cette grande constante de l’être que des formes nouvelles et inverses apparaissent au moment précis où les formes antérieures culminent. La mécanisation n’a jamais été si fortement fractionnelle et séquentielle qu’à la naissance du cinéma, à l’époque où nous sommes passés de la mécanisation au monde de l’interrelation organique et de la croissance. Le cinéma, par simple accélération de la mécanique, nous a poussés de l’univers de la succession ef de la connexion au monde de la configuration et de la structuration créatrices. Le message du médium cinéma, c’est le passage des connexions linéaires à la configuration. C’est le passage d’où nous tenons cette boutade, tout à fait juste aujourd’hui: «Si ça fonctionne, c’est désuet.» Quand la vitesse de l’électricité remplace la succession mécanique qu’est le cinéma, les lignes de force des structures et des média deviennent visibles et évidentes. Nous revenons à la forme englobante de l’icône.
Le cinéma est apparu à une culture fortement alphabétisée et mécanisée comme un monde où il n’était ni rêve ni illusion que l’argent ne puisse acheter. C’est à l’âge du cinéma qu’est apparu le cubisme, décrit par E.H. Gombrich comme «la plus radicale des tentatives d’éliminer l’équivoque et d’imposer une lecture de l’image comme une construction humaine, comme une toile colorée» . Le cubisme, en effet, substitue au «point de vue» ou à l’illusion de la perspective une vision simultanée de toutes les faces de l’objet. Au lieu de l’illusion spécialisée de la troisième dimension, le cubisme dispose sur la toile une interaction de plans, une contradiction ou un conflit dramatique des modèles, de l’éclairage, de la texture, qui imposent le message par la participation. Pour plusieurs, c’est là, véritablement, une leçon de peinture et non plus d’illusionnisme. En d’autres termes, le cubisme, en nous restituant l’intérieur et l’extérieur, le dessus, le dessous, l’avant, l’arrière et tout le reste en deux dimensions, rejette l’illusion de la perspective en faveur d’une conscience sensorielle instantanée de l’ensemble. Le cubisme, en découvrant la conscience globale instantanée, annonçait brutalement que c’est le médium lui-même qui est le vrai message. N’est-il pas clair qu’au moment où le séquentiel le cède au simultané, nous passons dans un monde de structure et de configuration? N’est-ce pas ce qui s’est produit en peinture, en poésie et dans le domaine des communications ? Des segments spécialisés d’attention ont disparu au profit de la totalité du champ et nous pouvons désormais dire le plus naturellement du monde: «Le message, c’est le médium.» Avant la vitesse électrique et le champ global, il n’était pas évident que le message fût le médium lui-même. Le message, semblait-il, était le contenu. Les gens demandaient ce qu’une peinture représentait. Il ne leur serait pourtant jamais venu à l’idée de demander ce que représentaient une mélodie, une maison ou une robe. En cela, les gens avaient conservé un certain sens de l’ensemble du modèle, de l’unité de la forme et de la fonction. Mais à l’âge de l’électricité, cette notion englobante de structure et de configuration a tellement prévalu que la pédagogie l’a adoptée. [...]
[...] Notre attitude traditionnelle devant les média, et qui consiste à dire qu’ils valent ce que nous les faisons, est l’attitude typique de torpeur du retardé technologique que nous sommes. Le «contenu» d’un médium, en effet, peut être comparé au savoureux morceau de bifteck que le cambrioleur offre au chien de garde de l’esprit pour endormir son attention. 
L’effet du médium est puissant et intense parce qu’on lui donne un autre médium comme «contenu». Le contenu d’un film est un roman, une pièce ou un opéra. Et l’effet du film n’a rien à voir avec son contenu. Le «contenu» de l’écriture
ou de l’imprimerie, c’est la parole; or, le lecteur ne porte à peu près pas attention à l’imprimé ou à la parole. [...]

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